Etats des lieux

En 2024, malgré des progrès dans certains domaines, le système de santé français reste marqué par des biais et des discriminations qui génèrent des violences médicales souvent passées sous silence. Ces violences prennent diverses formes – racistes, sexistes, validistes, islamophobes ou LGBTQIphobes – mais sont rarement reconnues ni traitées de manière adéquate par les institutions de santé, les médias ou les responsables politiques. Les patient·e·s qui subissent ces violences peinent à faire entendre leur voix et à obtenir justice.

Lorsque les violences médicales sont abordées dans l’espace public, c’est généralement à la suite de tragédies médiatisées, comme les décès de Naomi Musenga ou Yolande Gabriel en Guadeloupe, qui servent d'électrochocs. Cependant, ces incidents ne parviennent pas à entraîner des changements structurels durables, et les récits de patient·e·s victimes de maltraitance restent largement invisibilisés.

 FAQ

  • Les violences médicales désignent les pratiques et comportements discriminatoires ou abusifs dans le cadre des soins de santé. Elles peuvent être racistes, sexistes, validistes, grossophobes, islamophobes, LGBTQIphobes, ou encore liées à d'autres formes de discriminations. 

    Ces violences incluent les attaques directes telles que le viol, agression physique, acte médical réalisé sans consentement, souffrance intentionnelle, refus de soin; moqueries, humiliations, remarques racistes, validistes, transphobes.

    Elles comptent également les attaques indirectes qui passent par l’exercice d’un pouvoir coercitif comme mentir sur la façon dont s’est passée un acte médical en cas d’erreur ou  minimiser la douleur et ne pas la prendre en charge correctement.

    Les violences médicales incluent aussi le dénigrement, la hiérarchisation et le mépris des patient.e.s comme le jugement sur ses choix de vie, sa vie sexuelle, son corps, le manque d'interprète ou d’accessibilité qui empêche de pouvoir se défendre face à des violences.

    Les maltraitances médicales sont documentées par le gouvernement mais telles que sont abordées sont assez spécifiques aux violences commises en institution ou à domicile envers les personnes âgées et handicapées.

    Les violences commises contre les soignant·e·s sont un phénomène définit, documenté, accompagné par l’Observatoire Nationale des Violences en Santé placé au sein de la direction générale de l’offre de soins du Ministère de la Santé. Le Conseil National de l’Ordre des Médecins a créé en 2022 l’Observatoire de la sécurité des médecins qui est l’interlocuteur des pouvoirs publics dans la lutte contre les actes de violence commis contre les médecins.

    Des dizaines de milliers de victimes font un travail d’informations et de plaidoyer, participent à définir ces violences notamment racistes autour du syndrome méditeranéen, des violences obstétricales et gynécologiques, des violences sexuelles commises par/dans le milieu médical via des associations de patientes atteintes d’endométriose ou StopVog ; via les hashtags #PayeTonUtérus #MeTooMedecine #SyndromeMéditerranéen #MédecineRaciste

    Des familles de victimes de violences médicales se mobilisent pour demander vérité et justice et partagent des enregistrements des soignant·e·s qui éclairent sur les dynamiques à l’oeuvre dans la négligence de leur proche négligée/agressé·e telle que la famille d’Aïcha, 13 ans, décédée suite à des négligences et discriminations dans sa prise en charge et la décrédibilisation de sa parole.

  • Oui, plusieurs études et enquêtes ont mis en lumière l'ampleur des violences médicales et des discriminations dans le système de santé français :

    • Selon une enquête initiée par le Conseil National de l’Ordre en 2024, le monde médical apparaît comme un lieu où les violences sexistes et sexuelles sont nombreuses et en majorité dans le parcours étudiant:
      • 65% des médecins actifs ont eu connaissance de VSS dans le monde médical

      ➢ 54% des médecins femmes actives (versus 5% des hommes) ont déjà été victimes, en majorité lors de leur parcours étudiant.

      ➢ Dans le détail, 49% outrage sexiste et sexuel, 18% harcèlement sexuel, 9% agression sexuelle, 2% viol.
      Des faits commis de manière très importante par des médecins inscrits à l’Ordre:
      • 26% des médecins ont été victimes de VSS par un autre médecin
      • 49% des femmes versus seulement 3% des hommes Les médecins sont convaincus que les victimes ont du mal à se faire reconnaître en tant que victime:
      • Seuls 3% des victimes déclarent que l’Ordre a été informé Les principaux freins au signalement:
      • Auprès des supérieurs hiérarchiques, sont la crainte de ne pas être cru, l’impact sur la vie professionnelle et la honte
      • Auprès des institutions ordinales, sont la crainte de ne pas être cru, I’ignorance des démarches à suivre, la méfiance et l’inefficacité perçue 2/3 des médecins déplorent des discriminations professionnelles à l’égard des victimes et 15% ont eu connaissance de discriminations à l’égard des dénonciateurs.
      6 médecins sur 10 souhaiteraient une enquête plus large pour quantifier, sensibiliser sur le sujet.

    • Enquête initiée par Le Mouvement et un collectif inter-associatif (2018) : Cette étude sur l'accueil en service d'urgences a révélé que 56% des patient·e·s sondé·e·s ont rapporté des moqueries ou des propos dégradants. Près de la moitié (49%) ont indiqué que leur témoignage avait été mis en doute par le personnel de réception, et un tiers ont signalé des refus de prise en charge par le personnel médical. Les discriminations étaient particulièrement marquées envers les personnes perçues comme non-blanches ou portant un nom à consonance africaine, arabe ou berbère.

    • Enquête Odoxa pour la Ligue contre l'obésité(2020) : Cette enquête a montré que 19% des personnes obèses ont été victimes de discriminations dans le domaine médical, souvent exacerbées par des facteurs de sexisme, touchant particulièrement les femmes jeunes.

    • Rapport de Santé publique France (2021) : Ce rapport indique que 19% des personnes gays, lesbiennes ou bisexuelles ont vécu des épisodes perçus comme homophobes, entraînant souvent des renoncements aux soins. De plus, une personne trans sur quatre a évité de consulter un médecin au cours des douze derniers mois par crainte de discrimination.

    • Étude du Professeur Xavier Bobbia (2024) : Publiée en janvier 2024, cette étude menée par le chef des urgences du CHU de Montpellier a démontré que les patient·e·s noir·e·s et les femmes sont moins susceptibles d'être pris·e·s en charge comme des urgences vitales comparé·e·s aux hommes blancs. Par exemple, 63% des cas impliquant des hommes blancs étaient évalués comme urgences vitales, contre seulement 42% pour les femmes noires.

    • Le rapport du Haut Conseil à l’Egalité, “Actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical : reconnaître et mettre fin à des violences longtemps ignorées”publié en 2018 révèle que :
      “1 accouchement sur 5 donne lieu à une épisiotomie : 1 femme sur 2 sur laquelle une épisiotomie a été réalisée déplore un manque ou l’absence totale d’explication sur le motif de l’épisiotomie” et
      “3,4% des plaintes déposées auprès des instances disciplinaires de l’Ordre des médecins en 2016 concernent des agressions sexuelles et des viols commis par des médecins”.

    • La commission d'enquête du Sénat de 2003 : Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence s’est constituéesuite aux révélations de la stérilisations forcées, à leur insu, de jeunes femmes handicapées, pendant les années 1990 dans l'Yonne, révèle que des personnes handicapées sont contraceptées de force en institutions et que 400 à 500 personnes handicapées sont stérilisées sans leur consentement en France, que ces « faits sont avérés et probablement sous-évalués ».

    Une étude de l'Agence régionale de la santé d'Ile-de-France relative aux besoins et à la prise en charge gynécologique et obstétricale des femmes handicapées de 2018, montre que, sur 1 000 femmes handicapées ayant répondu à cette enquête :

    • 58 % seulement ont déclaré avoir un suivi gynécologique régulier (dont 88 % se sont estimées satisfaites) ;

      85,7 % ont déclaré ne jamais avoir eu de mammographie ;

      26 % ont déclaré n'avoir jamais eu de frottis .

      Quant aux professionnel.les, ils ont, selon cette étude, exprimé le souhait de disposer de locaux et de matériel adapté et d'avoir accès à un annuaire de l'ensemble des professionnels de la région proposant une prise en charge gynécologique et obstétricale adaptée et accessible aux femmes handicapées.

    Ces données montrent que les discriminations basées sur l'origine, le sexe, le handicap, l'orientation sexuelle et d'autres facteurs influencent directement la qualité des soins et la sécurité des patient·e·s en France.

    Un appel à témoignages du Défenseur des droits va permettre une consultation nationale et la production d’un rapport pionnier sur les discriminations dans l’accès aux soins.

    Des chercheur.ses ont publié leur travail dont :

    Myriam Dergham et Rodolphe Charles, “Le « syndrome méditerranéen » : une stigmatisation par catégorisation des conduites de maladies”.

    L’anthropologue Dre Mounia El Kotni et l’association fable-Lab“Accès aux soins des femmes : vers une médiation linguistique en santé ”.

    Mounia El Kotni et Chiara Quagliariello : “L’injustice obstétricale: Une approche intersectionnelle des violences obstétricales”

    Louise Virolle : “Mise sous silence des actions antidiscriminatoires dans l’accès aux soins. Le champ périnatal face aux discriminations à l’encontre des femmes étrangères en France”

    Priscille Sauvegrain : “ Violences dites  gynécologiques et obstétricales envers les femmes immigrées de l’Afrique subsaharienne en France”

    Céline Gabarro : “L'attribution de l'aide médicale d'Etat (AME) par les agents de l'Assurance maladie : entre soupçon de fraude, figures de l'étranger et injonctions gestionnaires”.

    Plusieurs rapports nationaux existent dont celui sur les maltraitances envers les personnes âgées et handicapées lors des Etats Généraux sur la maltraitance organisés en 2023 par le Ministère des Solidarités et de la Famille. Il émet un diagnostic et des recommandations.

    Il existe des données mises à jour annuellement sur les violences commises à l’encontre des soignant.e.s : “chaque jour en France, 65 professionnels de santé, qu’ils soient médecins, infirmiers, kinés, pharmaciens, sage-femme, ou autres, qu’ils exercent à l’hôpital, en clinique, cabinet ou officine, sont agressés, insultés, violentés” selon le Ministère de la santé et l’accès aux soins. 2 observatoires existent actuellement pour lutter contre ces violences : l’Observatoire National des Violences en Santé et l’Observatoire de la Sécurité des Médecins.

  • En France, bien que les violences médicales soient massives, elles restent banalisées et rarement reconnues par les institutions de santé, les médias ou les responsables politiques. Seules les tragédies médiatisées, comme les décès de Naomi Musenga ou Yolande Gabriel, attirent l'attention du public. Cette invisibilisation rend difficile l’obtention de justice pour les victimes et entrave la mise en place de réformes structurelles pour améliorer le système de soins.

    Selon une étude du CREDOC réalisée en 2022, 62% des Français estiment que la peur des représailles envers la personne maltraitée ou celle qui signale la maltraitance est la principale raison expliquant pourquoi ces faits ne sont pas signalés. En outre, 39% des personnes interrogées indiquent que la crainte des procédures judiciaires constitue également un frein majeur. Cette culture de la peur et du silence contribue à maintenir un système où les violences médicales ne sont pas suffisamment dénoncées ni traitées.

  • Nous utilisons le terme "violences médicales" plutôt que "maltraitance" car il permet de mieux refléter la dimension systémique et structurelle des problèmes rencontrés dans le système de santé. Parler de "maltraitance" évoque souvent des actes isolés ou individuels, tandis que les "violences médicales" englobent des pratiques et des comportements qui peuvent être ancrés dans des biais institutionnels, des discriminations systémiques et des normes professionnelles inappropriées.

    En choisissant le terme "violences médicales", nous soulignons l'impact cumulatif et la récurrence de ces expériences vécues par les patient·e·s, en particulier celles et ceux issus de groupes marginalisés. Ce choix de mot vise à visibiliser le caractère répandu et souvent normalisé de ces pratiques et à inciter à des changements structurels dans les pratiques de soins et les politiques de santé.

  • Les patient·e·s confronté·e·s à des violences médicales font face à plusieurs obstacles, notamment  le manque d’information sur leurs droits et sur les recours administratifs et juridiques activables en cas de violences. Les violences médicales se passent souvent à huis clos : le manque de preuve et la décrédibilisation de la parole des victimes peuvent être des obstacles pour faire reconnaître les violences.

  • Le "syndrome méditerranéen" est un diagnostic biaisé encore enseigné dans certaines facultés de médecine en France et évoqué dans les pratiques hospitalières. Dépourvu de fondement scientifique, il repose sur le préjugé que les patient·e·s d'origine méditerranéenne, maghrébine, afro-descendante ou provenant des pays de l’Est exagéreraient l'expression de leur douleur ou de leurs symptômes. En pratique, cela conduit les professionnel·le·s de santé à minimiser la douleur de ces patient·e·s ou à ne pas les prendre au sérieux, ce qui peut entraîner des négligences et des maltraitances, telles qu'un retard de diagnostic et une prise en charge inadéquate. Cette pratique est un exemple de violence médicale fondée sur des préjugés racistes et souvent misogynes.

  • Les conséquences peuvent être graves : retard de diagnostic, complications de santé, voire décès. Selon une enquête de la CNCDH, près de la moitié des répondants ont signalé des complications de santé liées à une mauvaise prise en charge.

  • Description de l’élémentDes mouvements tels que #MeTooMédecin, #PayeTonMédecin ou #StopVOG se sont développés pour dénoncer les violences médicales, collecter des témoignages et faire pression pour des réformes. Ces mobilisations permettent de politiser les expériences vécues, d’accompagner les victimes, et d'œuvrer pour des changements législatifs, comme celle en cours réclamant l’inscription des violences obstétricales et gynécologiques (VOG) dans la loi.

  • Obs Med a été créé pour contribuer à une meilleure information sur les violences médicales et les prévenir. L'Observatoire vise également à rendre plus visible ce sujet dans l’espace médiatique et auprès des politiques publiques afin de garantir que les droits des patient·e·s soient protégés et que les violences médicales soient reconnues comme des enjeux majeurs de santé publique.

  • L'Observatoire mène des actions de documentation des violences médicales, sensibilise le public et les professionnel·le·s de santé, et propose des recommandations pour améliorer les pratiques de soin. Il s'efforce de promouvoir une culture de soin respectueuse de toutes les identités et expériences, en adoptant une approche intersectionnelle. L'Observatoire valorise et soutient également les initiatives et mobilisations visant à garantir l'accès aux soins pour toutes et tous, en défendant des politiques de santé inclusives et équitables, comme par exemple le maintien de l’Aide Médicale de l’Etat.